Moitié-de-poulet (*)

 

C'était un petit bonhomme et une petite bonne femme qui étaient bien malheureux. Ils n'avaient qu'un œuf, rien qu'un œuf pour le souper. Ils le coupèrent en deux et le mirent à cuire. L'homme a mangé sa moitié mais la femme, elle, ne l'a pas mangée. Elle la mit à couver dans son jabot, et une moitié de poulet naquit.

Un jour que Moitié-de-poulet grattait dans le fumier, il trouva une bourse pleine d'or. Il se mit alors à chanter :

- Coquelicu ! La bourse et les écus ! Coquelicu ! La bourse et les écus !

 

Un chiffonnier qui passait par là l'entendit et pris la bourse.

Moitié-de-poulet ne voulait pas se laisser faire. Il criait :

- Coquelicu ! Rends-moi ma bourse et mes écus ! Coquelicu ! Rends-moi ma bourse et mes écus !

 

Et le poulet suivait le bonhomme qui s'en allait. En route, tout à coup, il voit un essaim d'abeilles. Les abeilles lui dirent ainsi :

- Où vas-tu petit Moitié-de-poulet ?

- Venez avec moi, vous le saurez.

- Mais nous ne pourrons pas te suivre !

- Fourrez-vous dans mon cul, je vous porterai.

 

Voilà les abeilles dans le cul du petit poulet, et les voilà partis. Un peu plus loin, ils virent un chien.

- Où vas-tu petit Moitié-de-poulet ?

- Viens avec moi, tu le sauras.

- Mais je ne pourrai pas te suivre !

- Fourre-toi dans mon cul, je te porterai.

 

Les voilà partis un peu plus loin. Et là que virent-ils ? Un renard.

- Où vas-tu petit Moitié-de-poulet ?

- Viens avec moi, tu le sauras.

- Mais je ne pourrai pas te suivre !

- Fourre-toi dans mon cul, je te porterai.

 

Les voilà partis encore une fois. Un peu plus loin, ils virent un loup.

- Où vas-tu petit Moitié-de-poulet ?

- Viens avec moi, tu le sauras.

- Mais je ne pourrai pas te suivre !

- Fourre-toi dans mon cul, je te porterai.

 

A un moment donné, ils traversèrent une rivière. La rivière dit :

- Où vas-tu petit Moitié-de-poulet ?

- Viens avec moi, tu le sauras.

- Mais je ne pourrai pas te suivre !

- Fourre-toi dans mon cul, je te porterai.

 

La rivière se mit aussi dans le cul de Moitié-de-poulet et ils arrivèrent à la maison de l'homme.

- Coquelicu ! Rends-moi ma bourse et mes écus ! Coquelicu ! Rends-moi ma bourse et mes écus !

 

L'homme raconta tout à sa femme. La femme dit :

- Cette nuit, nous le mettrons à coucher avec les poules. Le gros coq réussira bien à le mater. C'est ce qu'il firent.

Au milieu de la nuit, le gros coq s'en prit au petit poulet. Moitié-de-poulet se voyant perdu, dit :

- Renard, renard, sors de mon cul, ou bien je suis perdu !

Le renard sorti et couic ! fit leur affaire à toutes les poules.

 

Le lendemain, l'homme et la femme entendirent le petit poulet sur son fumier, qui disait :

- Coquelicu ! Rendez ma bourse et mes écus ! Coquelicu ! Rendez ma bourse et mes écus !

- Ça ne va pas se passer comme ça ! - dirent-ils - cette nuit, nous le mettrons avec le mulet. Il devrait bien l'écraser avec ses pattes.

C'est ce qu'ils firent. Et le mulet tournait, se retournait et piétinait. Le petit poulet se voyant encore perdu dit :

- Chien, chien, sors de mon cul, ou bien je suis perdu !

Le chien sortit et se mit à japper. Le mulet cassa sa corde et partit dehors.

 

Le lendemain, le petit poulet était encore sur son fumier et disait :

- Coquelicu ! Rendez ma bourse et mes écus ! Coquelicu ! rendez ma bourse et mes écus !

Mais qu'est-ce qu'on va en faire ? Saloperie de poulet ! On va le mettre cette nuit avec les moutons. Le bélier va bien l'écrabouiller !

C'est ce qu'ils firent. Et au milieu de la nuit, le bélier se mit à le bousculer.

- Loup, loup, sors de mon cul, ou bien je suis perdu !

Le loup sortit du cul du petit poulet et mangea tous les moutons.

 

Le lendemain, le petit poulet sur son fumier disait :

- Coquelicu ! Rendez ma bourse et mes écus ! Coquelicu ! Rendez ma bourse et mes écus !

- Bon. Cette nuit nous le mettrons entre nous deux et nous l'étoufferons.

C'est ce qu'ils firent. Quand le petit poulet fut couché entre eux deux, ils commencèrent à se rapprocher pour l'étouffer.

- Abeilles, abeilles, sortez de mon cul, ou bien je suis perdu !

Les abeilles sortirent et se mirent à piquer ces pauvres vieux, qui ne restèrent pas longtemps au lit.

 

Le lendemain, le petit poulet, toujours sur son fumier, disait :

- Coquelicu ! Rendez ma bourse et mes écus ! Coquelicu ! rendez ma bourse et mes écus !

- Le diable brûle ce poulet ! - dit l'homme - Tiens, justement, le four est chaud pour la fournée de pain. Ce soir nous le mettrons coucher dedans.

C'est ce qu'ils firent. Quand il se vit dedans, Moitié-de-poulet dit :

- Rivière, rivière, sors de mon cul, ou bien je suis perdu !

La rivière sortit, arrosa le feu et l'éteignit.

 

Alors le petit poulet, sur son fumier :

- Coquelicu ! Rendez ma bourse et mes écus ! Coquelicu ! rendez ma bourse et mes écus !

Les vieux dirent alors :

- Eh bien, laissons-le donc partir !

Ils jetèrent la bourse par la fenêtre et laissèrent partir Moitié-de-poulet, qui s'en allait, qui s'en allait dans les champs. Ils ne le revirent plus jamais dans la maison par la suite.

Je passai au moulin,

Bus un verre de vin,

Montai sur la queue d'une souris,

Qui fit son cri,

Riquiqui !

Mon conte est fini.

 

 

(*) Moitié-de-poulet, ou Moitié-de-coq (conte-type 715). Plus de 80 versions de ce conte de tradition orale ont été recensées en France (cf. Le conte populaire français, DELARUE & TENEZE, Paris : Maisonneuve et Larose, 1977). On trouvera ici une version traduite du poitevin. Précisons que le texte de départ était la fonte de deux versions poitevines recueillies, l'une en Deux-Sèvres, l'autre en Vendée. [retour]